C’est donc l’Italie qui remporte le 65ème Concours de l’Eurovision avec le groupe glam-rock Måneskin et son titre Zitti e buoni. Ce n’est pas à proprement parler une surprise, même s’il a fallu attendre le vote massif du public pour que cette victoire se dessine enfin. En effet, à l’issue du vote des jurés professionnels, nos voisins transalpins pointaient seulement à la quatrième place avec 206 points. Puis, lorsque sont tombés les 318 points attribués par le public, on a compris que c’était pratiquement plié : les experts en maths ayant calculé qu’il ne restait plus que 363 points à distribuer au Top 3 des jurys, les Italiens ne pouvaient pratiquement plus être rattrapés.
L’Italie totalise donc 524 points, avec 9 fois 12 points (5 au télévote et 4 auprès des jurys). Au télévote elle marque partout, chez les jurys seuls quatre pays n’ont pas voté pour elle : Azerbaïdjan, Bulgarie, Grèce et Suisse.
Nous étions sceptiques hier sur les chances des jeunes rockeux italiens de séduire le public, mais visiblement les téléspectateurs, en manque de spectacles rocks depuis un an, ont voulu retrouver l’ambiance des salles de concert, là où on saute, où on bouge la tête dans tous les sens et où on crie dans une ambiance de musique rock puissante. On imaginait qu’après plus d’un an de Covid, les Européens s’emballeraient plutôt sur un titre joyeux et dansant, dans la veine de KEiiNO ou Netta. Non, ils se sont réunis sur une valeur sûre : le rock, glam-rock ou violent-rock, comme le montre le succès de Måneskin, mais aussi celui des Finlandais de Blind Channel, 6èmes au global et surtout 4èmes au télévote.

Dans le centre de presse hier, on imaginait bien un scénario : le vote des jurys professionnels partirait dans tous les sens et le public trancherait. C’est ce qui s’est produit. Félicitons donc nos amis italiens pour cette magnifique troisième victoire à l’Eurovision, obtenue grâce à la mobilisation du public européen.
On la sentait arriver depuis plusieurs années cette victoire italienne : Raphael Gualazzi, Il Volo, Francesco Gabbani, Ermal Meta & Fabrizio Moro et enfin Mahmood avaient ouvert la voie. Diodato en 2020 aurait sans doute lui aussi obtenu un très bon résultat si le Concours avait eu lieu cette année-là.
L’Italie est désormais le grand pays de l’Eurovision !
Son système de sélection qui consiste à offrir au vainqueur du Festival de Sanremo la possibilité de représenter le pays au Concours a fait ses preuves. D’ailleurs les seules fois où les Italiens ont connu un échec (relatif) à l’Eurovision, ce fut avec Emma Marrone, sélectionnée en interne, et Francesca Michielin, seulement deuxième du Festival de Sanremo en 2016.
La conférence de presse des gagnants ne restera pas dans les annales du Concours. Nous avions devant nous des gamins mal élevés qui se sifflaient du champagne à la bouteille quand on leur avait obligeamment fourni des verres et dont les réponses n’étaient pas toujours très claires. Mais nous avons appris que leur nouvel album en préparation devrait sortir à la fin de l’année et qu’ils espèrent faire une tournée qu’on souhaite européenne. Ils se sont déjà produits à La Cigale. On espère avoir la chance de les y applaudir à nouveau très prochainement. En attendant, si vous aimez le rock, procurez-vous leur dernier album, il est vraiment très bien..
Seconde auprès des jurys, troisième au télévote, la France termine au global à la seconde place à 25 points des Italiens, ce qui n’est pas beaucoup. La prestation réalisée par Barbara Pravi fut éblouissante. Notre représentante a donné tout ce qu’elle avait vendredi et samedi soir. Sa sincérité dans son interprétation, sa manière forte de vivre sa chanson ont convaincu public (251 points) et jurys (248 points).
Elle totalise ainsi 499 points, avec en poche 12 fois 12 points (8 des jurys et 4 du public). Barbara Pravi établit ainsi un double record : le plus grand nombre de points et le plus grand nombre de 12 points de notre pays à l’Eurovision. Trente ans après Amina, elle offre à la France sa cinquième médaille d’argent au Concours, après 1957, 1976, 1990 et 1991.
On se doutait que Barbara avait des chances de séduire les jurys, et on a été agréablement surpris de son très bon score auprès du public. La preuve est faite. La France est capable de remporter l’Eurovision et de plaire à la fois aux téléspectateurs et aux jurys professionnels. Notre pays est sur une bonne dynamique. La victoire à l’Eurovision Junior en novembre dernier et cette seconde place à l’Eurovision nous ouvrent de magnifiques perspectives. Les maisons de disques et auteurs-compositeurs de talent qui étaient encore réticents à se lancer de l’aventure de l’Eurovision ne doivent plus avoir peur d’un échec : s’ils nous proposent un titre de qualité, le public européen suivra et le retour sur investissement sera là.
Félicitons donc Barbara Pravi, et remercions-la ainsi que la cheffe de délégation Alexandra Redde-Amiel et toute l’équipe en charge de l’Eurovision sur France Télévisions. Elles nous ont fait vibrer doublement : pendant la prestation de Barbara puis pendant l’annonce des résultats. Jamais depuis 1991 nous n’avions ressenti de telles émotions, et même si la déception de ne pas avoir gagné est là (certains avaient le cœur bien gros dans la team France samedi soir), cette soirée restera l’un des de nos souvenirs les plus intenses, et pour les plus jeunes, qui n’ont connu ni 1977, ni 1990 ou 1991, la première grosse émotion de l’Eurovision.
Troisième avec 432 points, la Suisse réalise une magnifique performance. Pourtant, on a le sentiment que Gjon’s Tears aurait pu remporter la victoire. Que lui a-t-il manqué ? Vocalement rien, il était parfait. Ce n’est pas pour rien que les jurés professionnels l’ont classé premier, devant Barbara Pravi, avec 267 points. La mise en scène a pu déconcerter le public. Était-elle le bon choix ? Ce n’est pas certain. Est-il passé trop tôt ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, un jeune artiste incroyablement talentueux a pris son envol samedi sur la scène de l’Ahoy Rotterdam.
Aux trois premières places de l’Eurovision 2021, nous avons donc un titre en italien et deux titres en français. Cela signifie sans doute que le public est désormais mature et capable d’apprécier et d’adhérer à des chansons qui ne sont pas en anglais. On espère que ça encouragera les différentes délégations aux quatre coins du continent européen à proposer des titres dans leur langue nationale, plutôt qu’une énième soupe en anglais, qui finira noyée dans la masse. Il y avait cette année en finale huit titres en langue nationale. Avec un petit effort, on peut en espérer plus d’une dizaine l’an prochain.
Avec 378 points (198 des jurys et 180 du public), l’Islande pointe à la 4ème place, ce qui est son meilleur résultat depuis 2009. Mais comme pour la Suisse, nous pensons que l’Islande avait les moyens d’être encore mieux classée. Le Covid ayant frappé l’un de ses représentants, c’est la prestation vidéo de sa dernière répétition individuelle qui a été diffusée. Si Daði og Gagnamagnið avaient été présents physiquement sur la scène de l’Ahoy ce samedi soir, l’alchimie avec le public de l’Ahoy aurait sans doute sublimé la prestation islandaise et aurait été encore plus marquante.
Le savoir-faire ukrainien à l’Eurovision est incroyable. Quelle que soit leur chanson, son style et les artistes qui la portent, les Ukrainiens arrivent à en faire un tableau magnifique et marquant. Ils n’ont franchement rien à envier aux Suédois. Nous sommes pourtant étonnés que les jurys se soient montrés si sévères avec Go_A, en ne leur accordant que 97 points. Le public européen lui a totalement adhéré et offert 267 points et sa deuxième place au trio ukrainien. C’est mérité, car pour nous l’Ukraine est sans doute la révélation majeure de cet Eurovision.
Avec 301 points, le groupe finlandais Blind Channel termine de manière inattendue à la sixième place de cet Eurovision néerlandais. On pouvait penser que l’Italie et la Finlande se neutraliseraient. Pas du tout. Public et jurys étaient dans un mood rock’n roll et ils ont voté presque autant pour les uns que pour les autres. Le rock a de l’avenir à l’Eurovision, et la perspective d’avoir un paquet de titres dans ce style l’an prochain est réelle et a de quoi donner des boutons à notre collègue Ethan d’Eurovision69.com qui n’aime pas le rock, car il aime Carola (qui a donné les points de la Suède hier).
Septième au final, alors que les bookmakers considéraient qu’elle faisait partie des trois favoris pour remporter le Concours, la jeune Maltaise Destiny était toujours dans la course à l’issue du vote du jury qui l’avait classé troisième avec 208 points, à 59 points du Suisse, ce qui était rattrapable. La désillusion a dû être énorme pour elle lorsque les présentateurs ont annoncé que le public ne lui avait attribué que 47 points, et on imagine bien Destiny pleurer à chaudes larmes en sortant de la green room. Certes le staging avait été sujet à beaucoup de commentaires, la prestation ayant été remaniée plusieurs fois ,ce qui n’est jamais bon signe. Mais 47 points ! C’est un échec cuisant. Cependant, n’oublions pas que la production n’avait pas fait de cadeau aux Maltais en les positionnant en 6ème position de la finale, là où il est très compliqué d’obtenir un bon résultat à l’Eurovision (on en reparlera).
La Lituanie et la Russie complètent logiquement ce Top 10, en compagnie de la Grèce, ce qui est plus étonnant. Malgré des prestations très soignées la Bulgarie et le Portugal ne terminent respectivement que 11ème et 12ème. En effet, si Victoria et The Black Mamba ont plutôt produit un bel effet sur les jurys, le public est lui totalement passé à côté de leur prestation, sans doute un peu trop sophistiquée pour lui, surtout s’il était dans un moodd rock’n roll.
C’est grâce aux quelques 12 points offerts par ses voisins que la Moldavie termine à la 13ème place. Difficile d’en être satisfait, quand on sait que la majeure partie du travail vocal de cette prestation, notamment sa longue note finale, est plutôt réalisée par la choriste (qui n’est pas Philipp Kirkorov) que par la chanteuse Natalia Gordienko.
Malgré un positionnement généreux, la Suède qui pointe à la 14ème place, connait son pire échec depuis dix ans. Et ça aurait pu être pire si ses voisins ne s’étaient pas mobilisés pour lui éviter une déconvenue plus forte. À l’Eurovision, le pays semble en bout de course. La production reste toujours aussi spectaculaire, mais à force de soigner la forme, on en oublie les chansons et surtout les artistes. Le modèle suédois, qui consiste à laisser une douzaine d’auteurs compositeurs (toujours les mêmes) produire une quinzaine de chansons pour le Mélodifestivalen ou pour l’Eurovision puis de les affecter çà et là à quelques artistes en devenir ou à de vieilles gloires finissantes semble avoir fait son temps. Le risque de se ringardiser comme Ralph Siegel et de faire la chanson de trop est réel. Le public réclame de l’authenticité, avec des artistes qui proposent des titres en phase avec leur univers musical, capables de travailler sur un vrai projet musical, un album, avec des titres choisis qui soient en cohérence avec ce qu’ils veulent partager avec le public. Il suffit de regarder le classement de cet Eurovision. Tous ceux qui occupent le haut du classement ont proposé un titre dans lequel ils se sont investis, que ce soit pour l’écriture ou la composition ou les deux, pas un truc qu’on leur a envoyé et qu’ils se contentent d’annoner comme un chanteur de karaoké sans qu’ils l’incarnent.
Chypre, qui a souvent fait partie du Top 10 des bookmakers, se retrouve finalement à la 16ème place avec 94 points. Le passage en 1ère position a sans doute tué le titre dance d’Elena Tsagrinou.
Pour les autres, Serbie, Israël, Norvège, Belgique, Azerbaïdjan, Albanie et Saint-Marin, on en attendait pas grand chose, mais grâce à quelques voisins ou quelques diasporas çà et là, ils ont engrangé suffisamment de points pour terminer à une place honorable entre 15 et 22.
Terminons par le pays hôte et le reste du Big 5, qui a subi (encore) une gifle mémorable, doublée d’une humiliation pour le Royaume Uni, dernier avec un double zéro inédit, des jurys et du public. Mais pour l’Allemagne ce n’est pas mieux : 3 points des jurys et 0 du public. Le temps des chansons gags est définitivement révolu à l’Eurovision.
Malgré tout son cœur l’Espagnol Blas Cantó fait à peine mieux avec 6 points des jurys et 0 du public, tout comme le Néerlandais Jeangu Macrooy 11 points des jurys et 0 du public.
L’ordre de passage a-t-il fait des ravages ? En analysant les votes du public, on remarque que quand on n’a pas d’amis passer dans la première moitié de la première partie de la finale est très handicapant, et même peut vous ôter toute chance de gagner le Concours ou d’y faire un bon résultat. Malte et Chypre en ont fait la douloureuse expérience. Comment Malte qui passait en position 6 et qui a fini 2ème au télévote en demi-finale a-t-elle pu se retrouver 14ème en finale ? Idem pour Chypre, qui a ouvert la finale et qui passe de la 7ème place en demi-finale à la 16ème place en finale.On ne peut pas, comme le fait l’UER, considérer que ça n’a pas d’importance. Ça en a !
D’ailleurs, il suffit de voir la tête déconfite des artistes quand ils tirent la première partie et leur visage radieux quand c’est la seconde. On sait que c’est la production qui choisit l’ordre de passage dans une opacité totale, afin d’assurer une diversité dans la présentation des chanson. Mais ce n’est pas un bon système car il est injuste. Il existe certainement un moyen qui tout en laissant le hasard décider de l’ordre de passage permettrait quand même d’assurer cette diversité et d’éviter un pont de trois ballades ou de trois chansons dansantes ce qui est parfois arrivé (mais pas tant que ça dans le fond), car passer en 2 et passer en 12 ce n’est pas pareil.
Enfin, on ne peut que se scandaliser de certains votes des jurys dits “professionnels”
L’échange rituel de 12 points entre Chypre et Grèce est sans doute le symbole le plus honteux de ces magouilles. Mais nous avons d’autres 12 points suspects en réserve, celui de l’Azerbaïdjan pour la Russie ou celui de la Macédoine du Nord pour la Serbie notamment, ou qui étonnent comme les 12 points du jury Polonais pour Saint-Marin. Nous notons également des échanges de bons procédés entre Malte et Albanie, ou entre les pays du Nord soit-disant si intègres.
Le vote du jury français suscite lui aussi des interrogations : pas de points pour Malte, l’Italie, la Bulgarie ou l’Ukraine, seulement 7 points pour la Suisse et un 12 points surprenant pour la Grèce plus 2 points à Chypre. Ils ont de la famille en Grèce nos jurés français ?
On ne félicitera pas non plus le jury belge pour son zéro pointé à Barbara Pravi, quand le public belge lui a offert ses douze points !
Je ne me suis d’ailleurs pas gêné pour faire part de mon mécontentement au seul journaliste arborant un drapeau belge dans le centre de presse. Il serait temps que ces jurés sensés être des experts intègres, qu’on a introduit dans le système de vote pour atténuer les effets pervers du télévote, montrent qu’ils le sont et que ce n’est que la chanson, la voix et le talent d’un artiste qui compte, quelle que soit sa nationalité, le pays qu’il représente ou la langue dans laquelle il chante.
Nous irons donc en Italie en 2022. Les premières rumeurs disent que Turin pourrait accueillir le Concours en mai prochain, mais il est sans doute trop tôt pour savoir comment sera choisie la ville hôte. En 1965 c’est à Naples qu’a eu lieu le premier Eurovision italien, le second ayant été diffusé depuis les studios de Cinecitta à Rome en 1991. Il est possible que d’autres villes se manifestent et on imagine bien que la RAI organisera un système de candidatures.
Rotterdam 2021 est une édition qui restera dans les annales pour le contexte pandémique bien sûr mais aussi pour le bon niveau des chansons en compétition. Nous avons quitté la ville dimanche matin, à regret, après deux semaines fabuleuses que nous ne sommes pas prêts d’oublier.
